Jacques Mellick « Observateur engagé… »

Ce qu'il devient
« Je participe à des débats comme dernièrement à la faculté de droit de Douai. Je suis dans l'exécutif de Pas-de-Calais Habitat. Le logement social, l'architecture m'ont toujours passionné. Je continue à être curieux de ce qui se passe en termes d'aménagement du territoire, de construction ici et en Europe. Je regarde les évolutions de la société. Je continue à faire de la politique, mais autrement. Je suis aujourd'hui un observateur engagé. »
Est-ce un rôle naturel après votre dernier mandat d'élu d'opposition ?
« En politique, il y a un temps pour tout. D'autres pourraient dire spectateur engagé. Je dis observateur : je regarde et je fais part de mes idées. J'ai toujours été un = social démocrate. Je continue à échanger dans un certain nombre de clubs dirigés et animés par des anciens dirigeants du PS. J'apporte ma contribution mais je n'ai plus les manettes. Ça ne sert à rien de faire semblant. »
Ses rapports avec le maire actuel
Lors du dernier municipal où vous avez siégé, Olivier Gacquerre a parlé de vous comme du « maire de quand il était petit ». Est-ce que cette formule instaure une forme de lien de filiation entre vous et lui ?
« Je n'ai jamais cherché à avoir des héritiers. Je n'ai jamais été un opposant farouche. Ce n'est jamais facile d'être le dirigeant d'une ville. Encore moins aujourd'hui qu'hier, sans doute. Ce que je lui ai toujours reproché, c'est un manque de vision, de cap. Je ne peux pas être contre quand il transforme la friche de la patinoire. Je l'avais déjà prévu en 2008, dans mon programme, pour renforcer la Rotonde. De même que le cinéma, même si je pense que ce n'est pas ce type de cinéma qu'il fallait. On a pris beaucoup de retard. Ce qui était lancé en 2008 n'a pris forme qu'une bonne dizaine d'années après, voire plus…
Il vous a parfois critiqué…« Qu'il le veuille ou non, quand je mets ma voiture au parking souterrain, les trois étages sont occupés. Quand il critique Q-Park, il joue son rôle, il se distingue. Mais la réalité c'est qu'il n'a jamais gagné un procès contre eux. Pourquoi ? Parce que mon dossier était blindé. J'avais demandé l'avis du préfet qui avait saisi la Chambre régionale des comptes. Pour la piscine, j'avais fait pareil. J'ai toujours tout fait dans les règles. »
Vous avez reproché à Olivier Gacquerre de ne pas être un maire bâtisseur, comme vous… Il vous a répondu que ce temps était passé…
« Je ne sens pas le cap, que ce soit à l'agglo ou à Béthune. Et je ne suis pas le seul à le penser. »
Depuis 2001 que l'agglo existe, c'est la première fois que le maire de Béthune préside l'intercommunalité. Diriez-vous : « Enfin ! » ?
« C'est ce qui avait été négocié en 2008 dans le cas de ma réélection. On faisait une alternance : trois ans le maire de Béthune et trois ans le maire de Bruay. Le maire de Bruay était premier vice-président quand le maire de Béthune était président et vice-versa. C'était une première étape pour changer les mentalités. Au-delà de son manque de vision, je suis politiquement inquiet qu'Olivier Gacquerre n'ait pas fait campagne pour Marguerite Desprez lors des législatives. À force de dire qu'elle était une mauvaise députée et de n'avoir bougé que le vendredi, c'est-à-dire 36 h avant le second tour, il a joué avec le feu et le feu est arrivé avec l'élection de Caroline Parmentier. Elle n'est pas n'importe qui. Elle est très dangereuse… »

« C'est ce qui avait été négocié en 2008 dans le cas de ma réélection. On faisait une alternance : trois ans le maire de Béthune et trois ans le maire de Bruay. Le maire de Bruay était premier vice-président quand le maire de Béthune était président et vice-versa. C'était une première étape pour changer les mentalités. Au-delà de son manque de vision, je suis politiquement inquiet qu'Olivier Gacquerre n'ait pas fait campagne pour Marguerite Desprez lors des législatives. À force de dire qu'elle était une mauvaise députée et de n'avoir bougé que le vendredi, c'est-à-dire 36 h avant le second tour, il a joué avec le feu et le feu est arrivé avec l'élection de Caroline Parmentier. Elle n'est pas n'importe qui. Elle est très dangereuse… »
L'extrême droite
Comment expliquez-vous ce virage vers l'extrême droite dans le secteur ?
« La gauche de gouvernement, dont je me revendique, a presque disparu. Se mettre dans le sillage du bruit et de la fureur comme le veut Jean-Luc Mélenchon vous empêchera, demain, d'aller au pouvoir. S'ils sont honnêtes, les dirigeants de la gauche doivent reconnaître que la NUPES ce n'est qu'un accord électoral pour sauver les meubles avec le 1,75 % d'Anne Hidalgo de la présidentielle. S'ils continuent à être dans le sillage des Insoumis, ça les empêchera, demain, d'être au gouvernement. Emmanuel Macron ne sera plus candidat. Sortira un successeur de droite républicaine. Mais une partie de l'électorat de gauche, qui a porté ses suffrages, encore en 2022, à Macron, vous ne pouvez pas l'abandonner si vous voulez accéder au pouvoir. Il faut donc bien une structure qui soit acceptable pour eux, c'est-à-dire une gauche de gouvernement comme elle l'a été avec François Mitterrand, François Hollande ou Lionel Jospin. Il faut qu'on fasse des accords avec le Parti Communiste. Le discours de Fabien Roussel est raisonnable. Beaucoup plus que le discours des Insoumis, dans lequel je ne me reconnais pas. »

Béthune d'hier et d'aujourd'hui
Entre le Béthune de 1977 où vous êtes élu maire et le Béthune de 2023, quelles sont les différences ? Est-on dans la même ville ?
« On est dans la même ville. Il serait présomptueux de dire le contraire. En 1977, j'ai repris le cours de l'histoire, la suite d'Henri Pad. Notaire, il n'était pas forcément, disons, un esprit progressiste. Mais, entouré d'un sous-préfet, d'un président de chambre de commerce intéressé par le renouvellement économique et la réindustrialisation, il s'y est mis. Il a fait un travail formidable avec le père de Marguerite Deprez. Il y avait autour de lui un dynamisme. Il a fait bouger la ville. Je n'ai rien contre son successeur, Paul Breynaert, qui a géré la ville tranquillement. Mais il n'avait pas une vraie vision. J'ai le sentiment d'avoir repris le cours qui s'était interrompu en 1971, de lui avoir redonné un souffle. »
C'était une époque d'émulation entre les villes du bassin minier…
« Oui. On était sous la pression des villes environnantes. Lens y allait avec André Delelis, Liévin aussi avec Jean-Pierre Kucheida… Mon erreur, lors de mon dernier mandat, est d'avoir voulu aller trop vite. Je pensais que Lens, avec le Louvre qui arrivait, allait en profiter comme l'avait fait Bilbao. Le musée avait permis l'expansion de cette ville. Je pensais que Lens allait le faire. Mais ce n'était pas André Delelis aux manettes… Je me suis trompé sur la capacité du maire de Lens de l'époque (Guy Delcourt, ndlr) d'accompagner, d'aller vite. Je me suis dit que si Béthune voulait être dans le coup, il fallait qu'on soit aussi présents dans la transformation. C'est la raison pour laquelle j'ai fait le parking, que je voulais redonner un coup de fouet au commerce, avec un marché de produits sur l'emplacement de l'ancienne halle aux draps, au pied du beffroi. Je n'ai pas inventé ! Je regarde toujours l'histoire, je m'y base toujours pour jeter un regard sur l'avenir. Cela n'a pas été fait pour des raisons politiciennes… J'avais commencé à négocier avec la SNCF et la Région pour qu'il y ait un genre de RER entre Lens et Béthune. Je voulais capter une partie des gens qui venaient au Louvre-Lens. J'ai fait une course peut-être trop effrénée. Ça a pu faire peur aux Béthunois : le cinéma, le parking, la piscine, le marché couvert… C'était trop pour eux. Cela a été l'une des causes du succès de Stéphane Saint-André qui n'a pas respecté, à deux reprises en 2008 et en 2014, l'union au second tour alors que j'étais arrivé en tête. »
Ni remord, ni regret.
Est-ce un regret de ne pas avoir pu rester un mandat de plus ?
« Je ne serais pas resté un mandat de plus totalement. Avec l'usure… Je voulais mettre sur les rails un certain nombre de projets. Pour le cinéma, j'étais en discussion avec un Belge, propriétaire du cinéma, à Lomme. Il était prêt à racheter Bruay, qui avait du mal à l'époque, pour en faire des salles de karaoké. Mais quand ils sont venus voir Stéphane Saint-André, il y avait Olivier Gacquerre… Ils étaient très divisés entre eux sur la question du cinéma. Il est donc parti. »
Faut-il que Béthune reste un point de référence culturel ?
« Oui. Cela permet de faire évoluer les mentalités. La culture est un élément essentiel de progrès, d'ouverture d'esprit. Par rapport à Lens, on équilibre. Je ne suis pas à dire : « Il faut que Béthune brille » Mais il faut être fort, y compris dans l'agglo. La chance d'Olivier Gacquerre, c'est que le maire de Bruay soit RN. Politiquement, il a le calme. Personne n'a envie que le RN ne remplace la droite et la gauche. »
Y a-t-il une réalisation dont vous êtes particulièrement fier ?
« Je n'ai pas ce regard… »
Avez-vous le sentiment du devoir accompli, alors ?
« J'ai fait ce que je devais, ce que j'ai pu faire. Démolir les Sorbiers, des petites maisons qu'on pourrait utiliser autrement, en les rénovant, je trouve que c'est dommage. Mettre des personnes âgées dans des tours avec des services, je ne critique pas. Mais démolir ces maisons… Une loi est passée sur l'artificialisation des sols. Dans des communes rurales, vous n'allez plus pouvoir beaucoup construire. Il va falloir accueillir les gens. Béthune assurera son rôle de ville-centre s'il y a des logements. Vous devez prendre en compte un environnement, l'évolution de la société, les aspirations de la population. J'ai démoli des logements au Mont-Liébaut parce qu'on ne pouvait pas les réhabiliter. On est en train de changer la sociologie de Béthune. Avec toutes ces maisons seniors qui poussent… Une ville, c'est de l'équilibre. Ce n'est pas une population qui a les moyens d'un côté et de l'autre, dans les quartiers, on laisse les choses… Cette équipe municipale n'a pas le souci de l'équilibre. »
Il revendique la police municipale.
Quel est votre avis sur la police municipale ?
« Je l'ai créée ! Contre l'avis de tout le monde. Même la droite, à l'époque, était contre, disant que c'était à la police nationale de faire le travail ! J'avais même, Stéphane Saint-André l'a supprimée, fait une brigade équestre pour voir de haut ce qui se passait. J'ai aussi créé une brigade canine qui a elle aussi été supprimée. Supprimer les beffys… On va vous dire que techniquement, on ne pouvait pas mettre les LEDs. C'est faux. Les beffys, c'était Mellick, donc on efface. Ça ne me touche pas. Mais c'est un peu à l'image de cette municipalité. C'est dommage pour la ville. L'avenir n'est pas garanti pour eux. Avec une Caroline Parmentier ici, l'électorat de la gauche qui est parti vers le RN… Le FN ne m'a jamais fait de cadeau parce que j'étais sur son terrain. J'avais une organisation qui faisait que je savais quand il y avait un malheur ou une joie dans un foyer. Quand il y avait un problème, j'essayais de le régler. Aujourd'hui, les élus, et pas seulement Béthune, que ce soit à gauche ou à droite, ne savent plus faire. »
À quoi est-ce dû ?
« Ce sont parfois des anciens collaborateurs de maires, de députés qui sont devenus maires. Ce sont de bons techniciens, intelligents, mais ils ne savent pas aller au contact de leurs concitoyens. La démocratie participative, c'est un équilibre qu'il faut trouver. On est à bout de souffle. Il faut imaginer de nouvelles méthodes et réhabiliter le rôle des élus »
https://www.lavoixdunord.fr/1319350/article/2023-04-22/jacques-mellick-ancien-ministre-ancien-maire-etdesormais-observateur-engage
Article paru dans la Voix du Nord. 23 avril 2023. BÉTHUNE.